Compte-rendu de la 1ère réunion du C.N.R.

Rapport du 4 juin 1943

rédigé par Rex (Jean Moulin) et adressé à André Philip

   « Ce n’est pas sans difficultés que je suis parvenu à constituer et à réunir le Conseil de la Résistance : difficultés de principe, difficultés de personnes, difficultés matérielles.

   J’ai eu en premier lieu à vaincre l’hostilité profonde de certains mouvements de zone nord qui répugnaient à une collaboration quelconque avec les anciens partis. Les mouvements ne général, vous le savez tant en zone nord qu’en zone sud, se sont montrés réfractaires depuis le début à des contacts de ce genre et cette attitude a surtout été sensible à l’ « O.C.M. » ; « Ceux de la Résistance » ; « Ceux de la Libération », et dans une certaine mesure, à « Combat ».

   Après une série de discussions, où je me suis attaché à démontrer l’intérêt que présentait, à l’intérieur , et plus encore à l’extérieur, l’intégration dans la Résistance organisée des élémentssains des anciennes formations politiques et synnicales, j’ai obtenu finalement l’adhésion des huit mouvements coordonnés, sous la réserve que ces derniers resteraient l’organe d’exécution du Conseil.

   En ce qui concerne les syndicalistes, j’ai eu aussi à aplanir un différend assez sérieux. La CGT demandait, en effet, deux sièges au Conseil pour que, arguait ses représentants, les ouvriers et les employés pussent faire entendre leur voix. J’ai du me montrer très ferme dans l’application du principe du représentant unique .Toute autre attitude aurait ouvert la porte à des abus, la CGT n’étant conviée que comme personne morale et à ce titre habilitée à représenter tous les aspects de son activité. Par ailleurs, le fait d’admettre la pluralité de la représentation aurait entrainé fatalement certaines formations politiques à exiger une représentation proportionnelle et un « dosage » inacceptable. Enfin, l’OCM, qui réclamait un siège pour la Confédération des Travailleurs intellectuels, aurait été en droit d’exiger que celle-ci fut également représentée. Ceci sans préjudice des revendications qu’auraient pu émettre de leur coté les syndicalistes chrétiens.

   La question a été d’autant plus délicate à traiter qu’aux difficultés de principe s’ajoutait une compétition de personnes, Saillant et Charles Laurent désirant tous deux faire partie du conseil. L’accord s’est fait après négociation avec Libération, sur les bases suivantes : Saillant a été désigné pour représenter la CGT et Charles Laurent pour représenter Libération, Du coté des anciennes formations politiques, j'ai eu au début des difficultés avec le parti communiste au sujet de l'acceptation du Gouvernement provisoire (au jour J) que comportait l'adhésion au Comité. Je dois dire que ces difficultés ont aplanies et que le Comité central a souscrit à tous les points du programme qui lui a été soumis. Pour les radicaux, Herriot ne pouvant être touché j’ai demandé au groupement d’action radicale récemment constitué, de désigner un représentant. Je vous ai dit, dans un précédent message, qui il était. En dehors de son attitude militante dans la Résistance qui lui a valu de nombreux désagréments et notamment celui de faire plusieurs mois de prison à Fresnes, il a l’avantage de pouvoir représenter les radicauxsocialistes et les francs-maçons. Ces derniers lui ont en effet donné également mandat de les représenter. La représentation de la Fédération républicaine a été difficile à obtenir. Louis Marin est certes toujours bien disposé et il m’avait promis depuis plus d’un mois de venir lui-même ou de se faire représenter. Il m’avait indiqué M 4 comme devant se substituer à lui le cas échéant. M4, que je n’ai pu toucher qu’in extremis car il se trouvait en Belgique, n’avait reçu aucun mandat de Louis Marin qu’il affirme n’avoir point revu depuis le 9 juin 1940. Il est d’ailleurs assez giraudiste. Jacquinot étant à Londres et ex-député de, que j’ai pressenti en ayant fait la même réponse que M. 4, j'ai obtenu la veille de la réunion que Debu-Bridel puisse représenter personnellement Louis Marin.

   « Je passe sur les difficultés matérielles de l'organisation d'une réunion de dix-sept membres recherchés ou au moins surveillés par la police et la Gestapo. J’ai la satisfaction de pouvoir vous dire que non seulement tous les membres étaient présents à la réunion, mais celle-ci s’est déroulée dans une atmosphère patriotique et de dignité que je me dois de souligner.

   « Voici comment s'est déroulée la séance :

   « Après avoir remercié tous les membres d'avoir répondu à l'appel du général de Gaulle et du Comité national français, j'ai cru devoir rappeler brièvement les buts de la France Combattante tels que les avait définis son chef :

1) Faire la guerre.

2) Rendre la parole au peuple français

3) Rétablir les libertés républicaines dans un état d'où la justice sociale ne sera point exclue et qui aura le sens de la grandeur

4) Travailler avec les Alliés à l'établissement d'une collaboration internationale réelle, sur le plan économique et spirituel dans un monde où la France aura regagné son prestige

   J’ai indiqué incidemment que si, comme le général de Gaulle l’avait dit et écrit, le jeu de la démocratie supposait l'existence de partis organisés et forts la présence au sein du Conseil des représentants des anciens partis politiques ne devait pas être considérée comme sanctionnant la reconstitution des dits partis tels qu’ils fonctionnaient avant l’armistice.

   J’ai insisté pour que bien au contraire il soit fait l’effort intellectuel et l’effort de discipline nécessaires pour constituer de larges blocs idéologiques capables d’assurer la solidité et la stabilité de la vie publique française.

   « Après ces quelques paroles liminaires j'ai donné lecture du message du Général qui est arrivé fort à propos et qui a été écouté non sans émotion par tous les assistants. Le représentant des démocrates populaires a ensuite présenté le texte de la motion qui vous est parvenue et que nous avions arrêté en commun.

   Après échanges de vues, la motion a été adoptée à l’unanimité. Le conseil a enfin décidé de consacrer tous ses efforts à réaliser sur l’ensemble du territoire et d’abord à l’échelon de la région, l'union étroite des formations représentées au sein du Conseil de Résistance.

   Je tiens à souligner que tous les membres ainsi que tous leurs mandants ont attaché le plus grand soin et la plus haute importance à cette réunion. Certains mouvements qui, malgré tout, avaient conservé à l’égard du Conseil quelques préventions semblent maintenant avoir compris l’intérêt de cet organisme et le poids qu’il peut avoir.

   Le général de Gaulle aura de plus en plus besoin de ces hommes. Les accords d’Alger ne régleront jamais la situation en France et c’est ici même qu’il doit chercher ses appuis. Il ne doit pas commettre la maladresse de lui aliéner ceux qui doivent constituer ces appuis.

   Enfin, dans l’hypothèse de divergences entre les dirigeants des mouvements, le Conseil pourrait jouer un rôle d’arbitre et maintenir la Résistance dans les voies qu’elle doit suivre. »

 

Source : Rapport publié dans l’ouvrage du colonel Passy « Mémoires du chef des services secrets de la France Libre » réédité en 2000 chez Odile Jacob pages 637-640.