Les Laboureaux

Discours prononcé

   Devant cette stèle aujourd'hui rénovée, nous sommes réunis pour rappeler le souvenir d'un événement survenu il y a 69 ans, l'attaque par les Allemands du maquis de Jeu-les-Bois le 12 juin 1944. S'il est important d'en narrer l'histoire aux jeunes générations, pour les moins jeunes et pour les Résistants, cette année, il s'agit aussi de réparer un oubli.

 

Le combat des Laboureaux

   Raconter le combat des Laboureaux nécessite de revenir au Débarquement en Normandie. Ce jour-là, le 6 juin 1944, tandis que les troupes alliées tentaient de pendre pied sur le sol de France, un message radio donnait l'ordre aux maquis de la Région 5, dont dépendait l'Indre, de neutraliser, par tous les moyens, les communications de l'occupant et de perturber ses déplacements (Plans vert, bleu, violet et plan Tortue). Aux forces armées de la Résistance intérieure était ainsi confié le rôle crucial de retarder la marche des unités ennemies vers le front de Normandie, et les maquis de l'Indre allaient y prendre toute leur part.

   Au soir du 6 juin, selon un plan préétabli, une soixantaine d'hommes, parmi eux des cheminots et des ouvriers de l'usine Bloch de Déols, se retrouvaient au lieu-dit les Jodons, chez le militant communiste Georges Pirot, au sud de la forêt de Châteauroux. Un parachutage d'armes , réaliséquelques jours plus tôt à proximité de la ferme, allait permettre d'équiper les maquisards. Et dès le lendemain, le capitaine Georges et ses hommes installaient un campement FTP aux Buttes de l'Age. G. Pirot prenait également contact avec le maquis voisin regroupant les troupes du 2° Bataillon du GIE, en vue d'effectuer des actions communes. Mais le nombre des maquisards ayant augmenté, avec notamment l'arrivée de plusieurs jeunes de La châtre, Pirot et ses lieutenants décidèrent, par prudence, de scinder le maquis en deux groupes, l'un restant aux Buttes sous la direction du capitaine Janot (Jean Bizeau), et l'autre venant s'installer, au soir du 11 juin, dans une ferme abandonnée du petit hameau des Laboureaux.

   C'est au petit jour, le lendemain, que la ferme était attaquée par un détachement allemand, appartenant à la colonne Stenger, chargée de faire la chasse aux terroristes dans le département. Yolande Gerbault, agent de liaison, raconte : Les hommes « dorment encore le matin du 12 quand l'alerte est donnée. Camille, affolée, crie « Aux armes ! » . La ferme des Laboureaux est cernée par les Allemands. Des coup de feu éclatent de toutes parts. Il y a aussitôt des tués des deux côtés. Camille m'entraîne, elle me fait sauter une haie, traverser un chemin pour rejoindre la forêt et nous y cacher. En faisant de la reptation, Camille réussit à passer ; aussitôt des Allemands tirent. Je reste un moment derrière la haie avec deux gars du maquis, puis nous décidons de sauter à notre tour. Sous le feu d'un fusil-mitrailleur, nous gagnons la forêt où nous retrouvons quelques camarades... » .

   C'est l'intervention vigoureuse des hommes du maquis voisin, stationné au château du Magnet, qui permit aux maquisards FTP de décrocher des Laboureaux. Le combat dura plusieurs heures. Vers midi les Allemands quittaient les lieux, emmenant 17 prisonniers. Quatre d'entre eux étaient blessés et mourront dans les heures qui suivent à la caserne Bertrand, et deux autres seront fusillés le jour-même à Montierchaume. Le lieutenant Gérard (Jacques Borie), blessé, sera exfiltré de l'hôpital par un commando de résistants. Enfin les 10 prisonniers restants seront déportés en Allemagne à la fin du mois d'août. Un seul d'entre eux reviendra de l'enfer des camps, Maurice Cruchon.

 

Marcel Legrand

   C'est de l'un des déportés que je voudrais parler plus précisément. Il s'agit de Marcel Legrand, dont le nom avait été oublié sur la précédente stèle, et qui figure aujourd'hui à sa juste place.

   Marcel Legrand, né dans l'Aisne le 25 novembre 1924, avait tout juste seize ans lorsque l'armée allemande envahit le territoire français, chassant devant elle les populations du nord. La famille Legrand se réfugia à Neuvy-Saint Sépulcre, où elle trouva un logement rue du Maréchal Joffre. Le jeune Marcel serait entré dans la résistance armée en février 1944 : il fut affecté à la 1ère section de la Trentaine Charbonnier, qui dépendait du 2° Bataillon du Groupe Indre Est, dirigé par Gabriel Dupleix.

   Marcel Legrand participa à plusieurs actions avec Gérard, R. Kinder et J. Traversat : préparation du cantonnement du Seuil qui devait accueillir le maquis AS le 6 juin, sabotage de voies ferrées dans le secteur Neuvy-La Châtre- Argenton, accompagnement de la première mission interalliée Jedburg dans la Vienne.

   Le 12 juin, il était engagé avec sa Trentaine dans le combat des Laboureaux. Il était servant au bazooka, Gérard étant le tireur, tandis que R. Bourdon et P. Bailly manœuvraient le fusil mitrailleur. Lors d'une contre attaque allemande, Gérard fut blessé. Et quand l'ordre de repli fut donné aux maquisards, Legrand refusa d'abandonner Gérard , ainsi que les deux morts. Legrand était alors capturé et emmené à la caserne Bertrand pour y être interrogé, puis transféré à la prison de Bourges. Le 10 août, avec huit compagnons, il montait à bord d'un convoi, parti de Bretagne une semaine plus tôt. C'était le début de la déportation. Arrivés à Belfort cinq jours plus tard, les hommes étaient enfermés au fort Hatry, puis le 29 août déportés vers l'Allemagne. Le 1° septembre, Marcel Legrand franchissait les portes du camp de Neuengamme, près de Hambourg, et devenait le matricule 43614.

   Ce camp était réputé pour ses nombreux commandos de travail et les conditions de vie y étaient très dures. Sept des prisonniers de Jeu-les-Bois y seront envoyés et y mourront.Marcel Legrand semble être resté à Neuengamme. A-t-il été employé dans une des usines d'armement ou bien dans l'administration du camp ? On ne sait pas. Il serait décédé de « faiblesse » en mars 1945. Il avait tout juste 20 ans.

 

   J'ajouterai que la famille Legrand a été doublement touchée par la guerre puisque André, le frère aîné de Marcel, a été arrêté par les Allemands à la frontière espagnole alors qu'il tentait de rejoindre les Forces françaises Libres. Déporté en Allemagne, il est mort à Buckenwald au début de 1944.  

Article de La Nouvelle République du 14 juin 2013